Belle-mère avant d’être mère : un enfer programmé ?
Endosser le rôle de belle-mère est loin d’être une position évidente. Partager la vie des enfants d’une autre parce qu’on tombe amoureuse de leur père n’est peut-être pas impossible, mais soulève quand même quelques questions. Amélie Boukhobza, psychologue et belle-mère elle-même, nous aide à comprendre pourquoi c’est si dur et nous livre ses conseils.
Comment trouver une place, sa propre place dans la famille recomposée quand on devient belle-mère sans avoir d’enfant à soi ? Auprès de son compagnon bien sûr, qui est également père ? Auprès des enfants qui ont déjà une mère ? Et vis-à-vis de la mère elle-même ?
Y a-t-il une bonne gestion de cette situation bien difficile, parfois vécue comme inextricable ? La réponse est chaque fois différente, selon les situations, mais il y a peut-être quelques invariants… Explications.
La rivalité avec la “déjà-mère”, la mère des enfants
Quelques questions à se poser pour commencer : Qui est la mère de ces enfants dont je partage la vie ? Quelle idée je m’en fais ? Et comment cette représentation influe-t-elle sur mes émotions et mes actes dans la vie familiale recomposée ?
Car je peux ressentir que cette femme qui est déjà mère à un avantage sur moi – et un avantage infini – : elle a déjà un ou des enfants de l’homme que j’aime. Je n’en ai pas. Elle a obtenu de lui quelque chose dont j’ignore tout. A-t-elle quelque chose de plus que moi ?, pouvons-nous nous demander. Très certainement. Puisqu’elle détient déjà le savoir d’une partie du secret de ce qu’est être femme.
Le destin de devenir une femme se noue au cœur de trois registres, un étrange triangle aux trois secrets :
1) Être femme sur le plan sexué, c’est-à-dire être désirable, belle, attirante, sexy… bref, ce à quoi nous incitent toutes les publicités.
2) Être « compagne », « épouse », c’est-à-dire connaître tous les ressorts qui rendront son homme satisfait, heureux, attaché, amoureux…
3) Enfin être mère, part décisive dans la mesure où le fait de devenir mère constitue (la plupart du temps) le point d’orgue d’un destin de femme, tel qu’on le pense encore souvent aujourd’hui.
Or les personnes qui vont partager le quasi-quotidien de ma vie de famille recomposée, (c’est-à-dire les beaux-enfants a minima) seront dans mon imagination du côté de celle qui a déjà obtenu ce pilier fondamental du féminin : leur mère…
Comme si cette autre femme, ma « rivale », avait déjà ravi un des trois secrets.
Cette rivalité insidieuse… me renvoie aux doutes profonds de toute femme : qu’a- t-elle de plus que moi ?..
Qui? L’Autre… Elle a percé avant moi le Secret…la recette magique.
De quoi ? Savoir être LA Femme…
Mystère des Mystères..
Voilà de quoi me rendre sacrément jalouse et envieuse. Mortellement !
Amélie Boukhobza
Psychologue clinicienne depuis plus de 10 ans, docteur en psychopathologie, formatrice et également formée à l’EMDR et la nutrithérapie, elle vit et exerce à Antibes, en cabinet ainsi qu’en ligne. Mère et belle-mère, elle connaît bien les problématiques des familles recomposées.
Plus d’infos sur www.confidencespsy.fr et sur son compte Instagram @_confidences
L’importance du comportement du conjoint
On reproche souvent aux hommes leur « lâcheté » concernant les situations sentimentales compliquées. En effet, la réorganisation familiale est parfois telle qu’elle peut susciter quelques tiraillements chez le conjoint, alors pris entre trois feux : l’ex, les enfants et moi !
Non sans quelques conséquences…
Peu habitués à gérer ces émotions complexes, les hommes tentent régulièrement de s’en tirer avec la raison et la logique. Fourvoiement garanti !
Et si ça n’était pas de la lâcheté, mais une « noyade émotionnelle » comme nous l’explique le psychiatre Christophe Fauré, c’est-à-dire une mauvaise gestion du stress relationnel ?
À leur décharge, il est bien souvent difficile de se positionner au milieu du trio infernal de la nouvelle composition familiale !
Et à leur compagne, belle-mère pas encore mère, ils ne pourront de temps à autre s’empêcher de lui signifier de manière implicite : « leur mère sait mieux faire avec eux que toi. Elle sait mieux car elle est déjà mère – leur mère, là où toi tu ne sais encore rien de tout cela »…
Les mots ne sont jamais ceux-là bien sûr, les tournures jamais aussi claires, mais les sous-entendus résonnent : « tu verras toi, quand tu seras mère », « quand ce sera tes enfants, tu auras plus de tolérance », « tu dis ça parce que ce ne sont pas tes enfants », « tu as tout à apprendre » et j’en passe…
Pour peu que la mère soit érigée en « bonne mère » dans les échanges entre le père et ses enfants, et c’est là le début de l’enfer ! « Vite, qu’il me fasse un enfant ! » vous dites-vous peut-être…
Et les enfants dans tout ça ?
Chaque histoire a ses spécificités, ses difficultés et son lot de contrariétés. Avant la rencontre, il y a eu une séparation, un adultère parfois, des mensonges, des disputes souvent. Et du côté des enfants, de l’espoir, quasi toujours, d’un « remariage » entre ses parents.
Les enfants sont malgré eux porteurs de cette histoire-là, souvent tiraillés dans un conflit de loyauté entre le parti du père et celui de la mère. “Qui est donc cette femme qui débarque dans notre vie, aux côtés de notre père ?” pourront-ils se demander. “N’a-t-elle pas été la cause de leur séparation ? Cette marâtre qui compte occuper une place auprès de nous alors qu’elle n’est pas notre mère. Elle n’est d’ailleurs pas même une mère. Elle ne sait rien de cela.”
Et c’est vrai, elle ne sait rien de cela et ne peut rien en savoir. Car si elle a beaucoup fantasmé sur ce qu’est la maternité, si elle a même lu beaucoup de choses à ce sujet, elle ne peut savoir ce qu’est réellement la « maternité » sans l’avoir effectivement vécue.
D’où, donc, les nombreux malentendus, les nombreux faux-pas, les nombreuses erreurs commises vis-à-vis des enfants. Si l’instinct maternel existe peut-être de manière innée, le savoir être mère s’apprend et se vit.
De son côté, elle, la belle-mère, se racontera un autre récit. Les enfants d’une autre, c’est « pas de la tarte » pensera-t-elle probablement. “Ça passe si c’est les tiens”. Mais les beaux-enfants ne deviennent « siens » qu’avec le temps, dans l’inscription de partages communs : expériences vécues, difficultés et joies partagées, épreuves de la vie… Ce qui se compte souvent en années !
Quelques conseils aux belles-mères avant d’être mères
Être belle-mère avant d’être mère ? Il n’y a pas de recette miracle. Tout au plus quelques principes généraux dont on pourra se saisir comme conseils pour construire, avec le temps, des possibles.
Essayer de ne pas trop se focaliser sur la Déjà-Mère, c’est-à-dire la mère des enfants, l’ex-femme de votre homme, afin de ne pas être envahie par l’envie et la jalousie. Et se dire toujours, si c’est ce que vous souhaitez, qu’« un jour viendra et il me fera un enfant »…
Essayer de supporter les maladresses de son conjoint, le plus probablement inapte à gérer toute cette complexité. Et lui parler, encore et toujours, en quête du soutien et de la légitimité que lui seul saura nous conférer, pour fonder ensemble une autre cellule “parentale” solide et rassurante pour les enfants.
Apprendre jour après jour : plutôt que se focaliser sur les sentiments de rivalité, apprendre à gérer soi-même toute cette complexité relationnelle et émotionnelle (mais ça nous savons déjà faire…). Employons toutes nos ressources pour faire encore mieux.
Et surtout s’armer de patience, d’indulgence et de compréhension envers les enfants qui quelquefois ne nous feront pas de cadeaux. Ne cédons pas à la tentation de la séduction, ni de l’autorité prématurée. Mais privilégions l’écoute, la sincérité et une dose d’affection pour bâtir un lien qui a besoin de temps pour se nouer solidement.