Camille Anseaume : “Belles-mères qui galérez, ce que vous faites est hyper courageux !”
Pendant plus de 10 ans, Camille Anseaume a voulu écrire sur la famille recomposée et la difficulté à être belle-mère. 10 ans de gestation avant de publier “Ma Belle,” (Calmann-Lévy), roman où l’on croise une très belle enfant nommée Blanche et une belle-mère qui s’aigrit … toute ressemblance avec un conte célèbre s’arrêtant là. Une histoire de recomposition et de rivalité, d’amour et de limites, que la journaliste et autrice n’aurait – de son propre aveu – jamais pu écrire sans être elle-même belle-mère. Rencontre.
Ecrire sur le rôle de belle-mère quand on l’est déjà, c’était une évidence ou c’était vraiment difficile ?
Camille Anseaume : “Un peu des deux ! Une évidence d’abord, parce que j’ai été accaparée psychologiquement par ma place de belle-mère pendant longtemps. J’ai passé mes premières années en famille recomposée à ne penser qu’à ça, à essayer de comprendre, de savoir ce qu’il fallait que je fasse, à refaire des scènes dans ma tête. A l’époque, j’étais jeune (j’ai été belle-mère à 27 ans) et j’étais surtout très seule face à cette situation. J’étais mal et tournais beaucoup en rond.
Je savais que je voulais écrire sur ce sujet mais en même temps, c’était simplement impossible. Car je ne voulais pas raconter ma propre histoire, parce qu’il était question d’enfants que je ne voulais pas mettre dans l’embarras. Mais surtout, tout ce que j’avais à dire relevait de sentiments plutôt honteux, inavouables. Ce n’est pas agréable d’admettre des sentiments de jalousie, de rivalité, d’hostilité… Alors pendant 10 ans, j’ai régulièrement tenté d’écrire sur la famille recomposée et à chaque fois, j’ai tout recommencé à 0, en me disant “Je ne peux vraiment pas raconter ça”. Techniquement “Ma Belle,” doit avoir quelque chose comme 48 versions précédentes (rires) mais je ne pouvais tout simplement pas parler d’autre chose.
Jusqu’au jour où j’ai écouté un podcast sur le conte de Blanche-Neige… Le déclic. Me caler sur cette histoire universelle m’a permis de dire ce que j’avais à raconter, sans parler de moi. Mais il est évident que je n’aurais pas pu écrire ce livre sans avoir été belle-mère. J’aborde des situations et des émotions qui sont tellement singulières qu’on ne peut pas les inventer.
Les contes comme Blanche-Neige décrivent plutôt d’affreuses marâtres. Pourtant Louise, ta belle-mère, est vraiment pleine de bonne volonté !
Camille Anseaume : Louise est une bonne élève, une fille très sympa. Je l’ai choisie justement pour montrer comment, petit à petit, elle a pu devenir une espèce de marâtre aux doigts crochus alors dans les contes de fée, la belle-mère est méchante d’entrée de jeu. Moi ce qui m’intéressait c’était de montrer comment tu peux devenir aigrie, une femme triste et hostile. Même si au départ, tu étais pleine d’envie que tout aille bien.
Parce que dans une famille recomposée, personne n’est fondamentalement méchant d’emblée, mais c’est la situation qui peut exacerber les mauvais côtés de ses membres. Et qui peut finir par abîmer tout le monde.
Que doit-on lire en filigrane ? Que c’est mission impossible d’être belle-mère ? Ou qu’on peut s’en tirer quand même ?
Camille Anseaume : C’est clairement le défi le plus dur que j’ai eu à relever dans ma vie. J’ai peut-être eu beaucoup de chance et été assez préservée jusque-là mais en tout cas, j’ai attendu un enfant toute seule, j’ai accouché toute seule, j’ai élevé un enfant toute seule. Mais franchement, c’était les doigts dans le nez par rapport au fait de devenir belle-mère ! C’est difficile, c’est une certitude, pour plein de raisons différentes.
Au-delà de la famille recomposée à proprement parler, “Ma Belle,” est une histoire de rivalité féminine…
Camille Anseaume : Oui et c’est le comble ! Car dans bien des cas, c’est un homme qui recompose une famille et c’est toutes les femmes autour de lui qui se retrouvent en difficulté. Est-ce sa faute à lui ? Au patriarcat ? Vaste question ! Ce qui est sûr, c’est que la souffrance est du côté des femmes. J’ai réalisé en écrivant ce livre que ce n’est pas seulement la faute de cette petite fille, ni la faute de l’ex mais la faute d’un système dans son ensemble qui met les femmes en rivalité. Alors qu’en changeant notre façon de voir les choses, on peut vite réaliser qu’on est toutes dans le même bateau.
Le problème, c’est qu’on nous biberonne à la rivalité. C’est les favorites dans l’histoire ou les reines de la pop ou la téléréalité dans les magazines. On passe notre temps à comparer Kate et Meghan, Beyonce et Rihanna… Pourquoi toujours mettre deux femmes en rivalité ? La problématique de la beauté cristallise d’ailleurs cette question de la rivalité entre femmes. Si on peut se sentir rivales sur plein d’autres plans, le physique est quand même souvent le nerf de la guerre.
En fait, la famille recomposée est une sorte de micro-société où tout se ressent plus fort, tout est plus à-vif. Alors que, normalement, quand tu es dans ton foyer, tu es censée être à l’abri, là, quand tu rentres chez toi, tu es encore plus exposée. Pourquoi ? Parce que le noyau familial est habituellement un cocon, parce que tu élèves tes enfants d’une façon qui te correspond, parce que ton mec te traite d’une façon qui te correspond. Dans une famille recomposée, tu n’as pas toutes les cartes en main. Et entre tes quatre murs, tout se retrouve amplifié.
Tu racontes très bien, d’ailleurs, dans le livre, la difficulté à se sentir chez soi, chez soi… Les odeurs, la sensation d’envahissement, l’incompréhension des proches..
Camille Anseaume : La difficulté à se sentir chez soi au niveau géographique est liée à la difficulté à avoir une place au niveau émotionnel. Avoir une place dans sa maison, c’est avoir une place auprès de son mec, de ses beaux-enfants. Je sais que cette sensation est quasi universelle quand les enfants arrivent pour le week-end, la semaine ou les vacances. C’est certainement cette sensation que j’ai trouvée le plus difficile à vivre.
Pourquoi c’est si dur selon toi d’être belle-mère ?
Camille Anseaume : Si on résume, les enfants de ton mec s’interdisent de te laisser une place par conflit de loyauté. Ton mec s’interdit de te laisser une place par rapport à ses gosses. Souvent, l’ex ne veut pas te laisser de place par jalousie ou rivalité…
En fait, tout le monde a une bonne raison de ne pas laisser de place à la belle-mère !
D’ailleurs, elle s’interdit souvent elle-même de trouver une place ou se contente des miettes, parce que “ce sont des enfants, tu comprends”, parce que “ils n’ont pas choisi d’avoir des parents qui divorcent, tu sais”, parce qu’il faut que ça se passe bien et qu’elles se disent que ça dépend d’elles…
Résultat : la belle-mère se met à la place de tout le monde et finit par s’effacer. Le problème, c’est que se mettre à la place des autres, ça ne marche que si les autres se mettent à ta place, aussi ! Sinon, vous êtes deux à la même place mais il n’y a plus personne à la tienne !
Sans oublier que quand tu es mère, tu peux avoir des moments durs, des phases ingrates, mais la récompense, à la fin, c’est que tu aimes tes enfants et qu’ils t’aiment en retour. En tant que belle-mère, tu n’as pas cette récompense. C’est pour cela que j’ai vraiment de la peine pour les belles-mères qui veulent trop bien faire et qui croulent sous les injonctions, souvent contradictoires d’ailleurs. En tant que femme, on en a déjà un paquet des injonctions, en tant que mère, on t’en rajoute encore et voilà qu’en tant que belle-mère, c’est quatre fois plus… Et tout cela, sans garantie de quoi que ce soit en retour !
Aujourd’hui, à titre personnel, tu dis que ça va mieux. Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui fait qu’on finit par aller mieux dans une famille recomposée ?
Camille Anseaume : Je n’aurais jamais cru le dire un jour mais oui, ça va bien. Ca va très bien, même. En fait, chacun finit par bouger légèrement pour se mettre un petit peu à la place de l’autre. Chacun modifie un peu son attitude et fait un petit pas vers l’autre. Et au final, ça fonctionne.
Reste que si c’était à refaire, je crois que je n’y arriverais sans doute pas. Je me suis trop fatiguée. Aujourd’hui évidemment, je ne regrette rien, je suis ravie de ma situation, mais je n’aurais absolument pas l’énergie de le refaire ! C’est pour ça que quand je parle de ce livre, j’ai envie de dire à toutes les belles-mères qui galèrent : “c’est hyper courageux ce que vous faites”. Et aussi, “ça va aller”. Même si c’est dur, même si c’est le parcours de la combattante. De la combattante, oui, plus que du combattant, parce que quand on regarde la réalité en face, les galères d’une famille recomposée, c’est encore trop une affaire de femmes.
A lire
Enthousiaste à l’idée de rencontrer sa belle-fille, Louise ne s’attend pas à devenir une marâtre de contes de fées. Avec Blanche cependant, elle se heurte à un mur de glace. Sublime, triste et mutique, la petite fille à la peau blanche comme la neige, aux cheveux noirs comme l’ébène et aux lèvres rouges comme le sang oppose à la bonne humeur de Louise un dédain constant, sous l’œil complice de son père qui, subjugué par la beauté de sa fille, est aveugle à ce qui se trame. Leur relation va vite s’empoisonner. Acerbe et drôle, Louise raconte la difficulté à trouver sa place de belle-mère, ses complexes et ses insécurités exacerbées par l’ombre de l’ex-femme idéalisée.
Ma Belle, de Camille Anseaume, Editions Calmann-Lévy, 18,50 euros. A commander ici