Famille recomposée et argent : les bonnes questions à se poser
Sujet tabou par excellence, l’argent devient vite un épineux casse-tête en famille recomposée. Qui paie pour quoi ? Pour qui ? Comment régler les factures de manière équitable quand l’un a des enfants et l’autre pas ? Quand l’un doit verser une grosse pension et l’autre pas ? Tour d’horizon des questions à se poser pour éviter non-dits et malentendus, et surtout pour trouver un bon équilibre financier.
Dans leur livre « La famille, l’argent, l’amour : les enjeux psychologiques des questions matérielles”, Nicole Prieur (philosophe et thérapeute d’enfant) et son mari Bernard Prieur (psychanalyste et thérapeute familial) consacrent un chapitre entier à la question de la famille recomposée. Ils y décortiquent la complexité de la question financière quand on recomposé, la portée symbolique de l’argent dans ces situations mais aussi les différents modèles choisis par ces familles. Un ouvrage de référence pour comprendre ce qui se joue dans le rapport à l’argent des parents recomposés, des beaux-parents mais aussi des beaux-enfants. A lire absolument si le sujet vous intéresse !
Pourquoi l’argent est un sujet délicat en famille recomposée
- Parce que les familles recomposées ont une structure complexe, contrairement aux familles “initiales”, plus simples. “Les familles recomposées qui se constituent au croisement de plusieurs sous-systèmes potentiellement antagonistes complexifient encore davantage la place et la fonction de l’argent qui y circule”, lit-on ainsi dans « La Famille, l’argent et l’amour. » “L’argent relatif aux soins de l’enfant y est un sujet de discussion âprement discuté car il n’est pas un enjeu seulement entre deux anciens conjoints, censés être centrés sur l’intérêt de l’enfant commun, mais désormais entre deux familles voire trois familles ayant chacune des intérêts divergents, des engagements et responsabilités à des degrés divers envers des lignées différentes.”
- Parce qu’il n’y a pas de cadre, ni même un modèle de fonctionnement pour les familles recomposées. Au contraire, chaque famille doit trouver son propre fonctionnement budgétaire et son équilibre, en fonction de son histoire, de l’histoire personnelle de ses membres, mais aussi du nombre des enfants, de leur âge, de leur mode de garde… “Tout ce qui est impliqué dans le registre financier est négocié peut-être plus âprement, car, à part la pension qui peut être déterminée par un magistrat, le reste suppose échange, dialogue et entente.”, nous disent Nicole et Bernard Prieur. Voilà pourquoi parler d’argent est primordial, même si le sujet peut mettre mal à l’aise, surtout quand on ne se connaît pas encore très bien.
- Parce que l’argent renvoie au couple précédent, dont l’ombre finit toujours par planer sur la nouvelle famille recomposée, et qu’il peut revêtir une signification symbolique très forte. Les crispations peuvent ainsi être fortes autour de la question de la pension alimentaire, comme explicité dans leur livre : “Si un homme paye une pension importante à son “ex”, il ne pourra pas s’investir financièrement autant qu’il le souhaiterait dans sa nouvelle famille. Cette pension qu’il verse est la trace tangible de son ancienne vie, cela peut être plus ou moins mal vécu par la nouvelle compagne.”
Pourquoi il faut parler d’argent (même si c’est pas facile)
- Partir sur des bonnes bases, savoir qui prend en charge quoi… Ce qui est étroitement lié au rôle que l’on se voit assigné ou aux responsabilités que l’on prend en famille recomposée. “Préférons-nous payer chacun pour nos enfants ?” “Attends-tu de moi, en tant que beau-père, de participer aux frais d’éducation de ton fils ? Quelle place souhaites-tu ainsi que je prenne ?” “Tu as deux enfants, je n’en ai qu’un, mais je gagne moins que toi, comment répartissons-nous les dépenses ?” Sans mettre les cartes sur table, il y a fort à parier que mes attentes ne seront pas les tiennes et que peut découler de ces couacs de lourds non-dits et fortes frustrations.
- Eviter les malentendus : un beau-parent qui ne participe pas assez aux dépenses pour le ou les enfants de son ou sa partenaire est-il forcément peu investi ? Cela traduit-il forcément une distance ou un désintérêt ? Au contraire, un beau-père qui prend en charge toutes les dépenses d’un beau-fils qui résiderait avec sa mère sous son toit – et les décisions qui vont avec – fait-il trop preuve d’ingérence ? Si nous payons chacun pour nos enfants et gardons des comptes séparés, cela signifie-t-il que nous ne sommes pas vraiment un couple ? Nos systèmes de valeurs peuvent nous faire voir les choses différemment de notre partenaire. Parler de notre rapport à l’argent, mais aussi de la place que l’on occupe en famille recomposée peut aider à éviter les incompréhensions et les non-dits qui sont des poisons pour le couple.
- Eviter les conflits qui en découlent et qui pourrissent la vie des parents mais aussi des beaux-parents et des enfants qui peuvent se sentir lésés, voire mal considérés. Nicole et Bernard Prieur résument ainsi : “L’entretien de l’enfant de l’”autre” peut être également, dans certains cas, une source de conflit explicite et récurrente. Cela met pour le moins à l’épreuve les différences par rapport à l’argent des protagonistes impliqués. Certains frais apparaîtront comme injustifiés pour les uns et indispensables pour les autres”.
Comment s’organiser concrètement côté finances ?
Voici les grandes questions à se poser :
- Quelles sont les charges de la nouvelle famille en fonction du mode de garde, du nombre d’enfants, de leur âge…
- Quels sont les revenus de la famille (salaires, prestations familiales, pension éventuelle),
- Qui paie quoi ? Plusieurs solutions possibles :
> chacun paie pour soi et ses enfants
> vous payez toutes les dépenses à 50-50
> vous payez les dépenses proportionnellement à vos revenus (si monsieur gagne 50% de plus que vous, il participera à hauteur de 50% de plus aux dépenses)
> vous payez les dépenses en fonction du nombre d’enfants que vous avez chacun (par exemple, si madame a 2 enfants et monsieur 1, madame prendra en charge les ⅔ des dépenses des enfants et monsieur ⅓)
Les 3 grands modèles d’organisation budgétaire en famille recomposée
- A l’issue de vos calculs et discussions, et compte-tenu de votre famille aujourd’hui, vous devriez pouvoir, ensemble, statuer sur le modèle budgétaire qui vous convient le mieux. Préférez-vous garder des comptes séparés, chacun payant pour soi et son ou ses enfants ? Préferez-vous tout mettre en commun compte-tenu de votre vision du couple, de la structure de votre famille (vous avez le même nombre d’enfants par exemple) ou de vos revenus (vous gagnez à peu près la même chose?) ? Ou êtes-vous plutôt en faveur d’un modèle mixte, privilégiant un compte et des dépenses communes pour tout ce qui concerne la nouvelle famille, tout en gardant des paiements séparés et des comptes personnels, pour tout ce qui touche aux enfants de chaque côté ou pour les dépenses personnelles exceptionnelles ?
- En tout état de cause, cette discussion doit aboutir à un modèle qui vous convient à tous les deux. Non pas celui que votre compagnon avait avec son ex parce que cela lui semble naturel, pas celui que vous vous sentez obligé.e d’accepter, pas forcément celui que vous avez connu dans votre couple précédent. Non, celui qui convient le mieux à votre nouvelle famille et à votre vie aujourd’hui, ensemble. Il n’est pas rare que les nouveaux couples soient réticents à l’idée de se relancer dans une gestion commune à 100%… Normal, peut-on lire dans “La Famille, l’argent et l’amour” : “Il ne fait aucun doute que les expériences précédentes liées à des séparations difficiles ou douloureuses rendent prudent tant sur l’engagement affectif que sur l’engagement financier. Ainsi 52% seulement des familles recomposées ont institué une union financière, c’est-à-dire une mise en commun totale des revenus et des dépenses (contre 66% quand il s’agit d’une première union).”
Enfin, dernier conseil glissé par Julie Gaudras dans son livre “Bien vivre sa famille recomposée” pour le bien de votre couple : “Ne laissez jamais s’installer des récriminations concernant la gestion du budget familial. Si vous vous sentez floué(e), abordez immédiatement le sujet et trouvez des solutions ensemble.”
Le bon modèle ? Ce sera celui avec lequel vous vous sentirez tout deux le plus à l’aise, ce qui implique de pouvoir avoir une discussion à coeur et porte-monnaie ouverts. Délicat ? Certainement. Discuter d’argent est rarement facile, mais cette organisation trouvée à deux sera une base saine pour faire face au quotidien et construire une nouvelle histoire solide.