
Vivre en famille recomposée, c’est – aussi – savoir se taire
Peut-on tout dire en famille recomposée ? Ou au moins dans le couple qui fonde la famille recomposée ? J’aimerais vous répondre que oui, bien sûr. Qu’une bonne communication, c’est la base. Que la transparence, la sincérité, c’est indispensable, etc. Sauf qu’à l’usage, dans la « vraie vie », beaucoup de beaux-parents apprennent plutôt à serrer les dents…
Comme pour tout, il y a la théorie et la pratique. En termes de couple, il y a aussi ce qui est vrai pour les premières unions… et ce qui est vrai pour les recompositions. Car ne nous mentons pas, quand au milieu de salon, il y a des enfants qui sont à l’un et pas à l’autre, ce n’est pas la même chanson. Surtout quand ces enfants ont des éducations différentes et un parent dans une autre maison, une autre famille, etc… Tour d’horizon de ces situations où l’on ne peut pas réagir « comme d’habitude » quand est beau-parent.
Les phrases mortelles des enfants
Les petits ne s’en rendent pas toujours compte mais ils peuvent enchaîner les petites piques ou les grosses remarques blessantes.
« Je n’aime pas les lasagnes ici, celles de maman sont meilleures », « Papa, il perd pas tous ses cheveux comme toi », « Maman m’a dit qu’elle n’aimait pas la coiffure que tu m’avais faite à la kermesse », « Pourquoi on ne peut pas regarder le film en entier, chez papa, on peut », « Elle va rester jusqu’à quand Delphine, elle rentre pas dans sa maison…. » et j’en passe…
Et si comme beaucoup, vous êtes la bienveillance incarnée, vous n’avez souvent qu’une réaction possible : bien serrer les dents.
L’incompréhension hargneuse des proches
Autre situation classique : les ami.e.s à qui on peut s’étonner que nos beaux-enfants ne soient pas toujours faciles, ou que la vie tous ensemble soit étonnement fatigante, ne sont pas à l’abri de rétorquer, en vrac et dans le désordre :
- « Mais tu savais qu’il/elle avait des enfants, tu étais prévenu.e ! De quoi tu t’étonnes, aujourd’hui ? »
- « C’est toi l’adulte, c’est à toi de gérer »
- « Tu ne serais pas un peu jaloux.se ? Ce ne sont que des enfants… »
De grands classiques, certes, mais toujours douloureux à entendre et qui montrent à quel point il est difficile de « dire » des difficultés entendables quand on est beau-parent. Mais ces réactions révèlent surtout l’incapacité de ceux qui ne vivent pas la famille recomposée à s’imaginer les petites tensions et gros remous de cette vie tous ensemble un peu particulière.
Reste que pour nous, beaux-parents, c’est la double peine. Là où d’autres peuvent s’épancher et être écouté.s avec bienveillance, nous, il ne nous reste que le droit de nous mordre bien fort l’intérieur des joues…
Les tensions interminables avec l’ex
Et l’ex, on en parle de l’ex ? Même quand on veut respecter cette personne qui a partagé la vie de l’être que l’on aime et qui lui a donné ses enfants, les bonnes intentions s’avèrent parfois difficiles à tenir. L’amoureux.se a reçu un nouveau message incendiaire de son ex ? Il ou elle vient de lancer une énième accusation, un nouveau reproche, un centième changement de programme ? Vous aimeriez hurler mais non, car au mieux, c’est un sujet sensible. A pire, ses enfants sont là. Donc chuuuut…
A ce stade, selon toute vraisemblance, l’intérieur de vos joues saigne.
Les sujets ultra tabous avec l’amoureux.se
Que dire aussi des relations de votre partenaire avec ses enfants ? Peut-on faire remarquer que lui, le papa, a répété 5 fois de mettre le couvert mais il ne se passe rien ? Peut-on relever les caprices de diva de son ado ? Aborder simplement cette sensation d’être de plus en plus d’être invisible et non respecté.e par ses enfants ?
Bien sûr que nous aimerions dire tout ça pour que notre partenaire en prenne conscience, pour que l’on puisse expliquer notre besoin de changement (et de crier un bon coup, aussi). Mais cet enfant n’est pas le vôtre, et toute intervention, vous le savez, ressemble à un dangereux boomerang…
Vous n’avez pas d’enfant ? Attention au fameux, « Tu ne peux pas comprendre, tu n’as pas d’enfant, TOI »
Vous avez des enfants ? Vous vous exposez au non moins traditionnel « Ca ne te regarde pas, ce ne sont pas tes enfants ».
Résultat : vous la bouclez. Le temps de trouver la bonne formulation, le bon moment (ça peut durer longtemps). A ce stade, les dents crissent, des courbatures apparaissent au niveau des mâchoires.
Ce que l’on ne peut pas dire… du tout
Et puis, parfois aussi, il y a ces choses propres à la famille recomposée qu’on ne peut pas tout simplement pas dire à l’autre, même quand on les ressent très fort. Même si rien ne nous y oblige, même si on arrive à se convaincre que cela ne se commande pas, un « je ne peux plus vivre avec tes enfants » voire « je n’aime pas tes enfants » est tout simplement inavouable pour vous et inentendable pour le parent.
Le problème, c’est que ces pensées qui ne peuvent pas être exprimées, tournent en boucle, montent en volume, jusqu’à faire un bruit assourdissant dans nos têtes. Jusqu’à parfois nous faire perdre de vue notre couple et notre propre bien-être physique et psychique. Si vous souffrez de ne pouvoir dire ce qui vous pèse, si le silence est devenu une prison dans votre vie de famille, n’hésitez pas à vous rapprocher de personnes qui peuvent entendre ce que vous avez à dire, et comprendre ce que vous vivez, sans vous jugez (plus d’infos à ici)
Mais pourquoi est-ce si dur de parler en famille recomposée ?
Caricaturales les lignes que vous venez de lire ? Certainement un peu. Mais le fond a une bonne dose de vérité. Quand on vit une première histoire, quand les enfants au milieu du salon sont à nous deux, le dialogue n’est pas évident mais il est au moins considéré comme légitime, équitable, ou tout du moins équilibré. En famille recomposée, toute tentative d’aborder les sujets qui fâchent peut instantanément devenir explosive si les enfants de l’autre sont en cause.
Ce sont les mots d’Ivy Daure ici sur Les Nichées (elle était interviewée sur le tiraillement dont souffrent souvent les parents qui recomposent) qui m’ont aidée à comprendre. « Nous avons tous trois sujets que je qualifie d’“intouchables” : nos enfants, nos parents et notre patrie (notre pays de naissance ou celui où on a grandi) » nous explique-t-elle. « Moi, je peux dire tout ce que je veux sur ces trois sujets me concernant, mais si quelqu’un d’autre attaque ces points chez moi, cela va s’avérer très très délicat à entendre pour moi. Pourquoi ? Parce que c’est moi, en définitive, qui vais me sentir attaqué.e. »
Voilà qui explique que je peux ironiser sur les défauts ou les côtés insupportables de ma fille mais qu’il sera toujours mal vu que je dise le dixième sur ma belle-fille.
Bien sûr, sur le papier, pour que le couple fonctionne, il faudrait pouvoir échanger en toute sérénité sur les sujets les plus importants, confronter nos idées, nos douleurs et nos peurs, pour se donner une chance d’accorder nos violons, et de regarder, comme le veut la sagesse populaire, dans la même direction. Même quand la progéniture de l’un ou des deux encombre un peu le paysage.
Il ne s’agit donc pas de se taire pour toujours, plutôt de mettre le curseur au bon endroit, les bons mots sur les maux. Mais comment parvenir à dire son malaise ou sa souffrance sans donner sans cesse l’impression de critiquer l’autre, son ex ou ses enfants ? Comment faire bouger les lignes sans que personne ne se sente attaqué ? « Quand un beau-parent critique les enfants de l’autre, c’est son ou sa conjoint.e qu’il attaque, souvent sans s’en rendre compte. », nous met en garde Ivy Daure.
Communiquer dans le couple recomposé est donc un sacré numéro d’équilibriste, nécessaire mais à haut risque. Cela implique de prendre beaucoup sur soi – et beaucoup de pincettes (coucou la CNV) – car quoi qu’on fasse ou quoi qu’on dise, le terrain sera toujours miné d’avance…
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