Aider son enfant à mieux vivre la résidence alternée
Parent séparé

Aider son enfant à mieux vivre la résidence alternée

Changer de maison régulièrement, vivre au rythme des retrouvailles et des séparations, s’adapter en permanence d’un côté et de l’autre… Rien de tout cela n’est évident pour les enfants en résidence alternée. Mais certaines habitudes peuvent les aider à trouver leurs marques et à gérer le manque afin qu’ils se sentent bien et chez eux, dans ces deux foyers. Les explications et conseils de Bruno Humbeeck, auteur de Comment préserver ses enfants lors d’une séparation (Mango Editions).

Les aider à s’adapter aux deux maisons

Une semaine chez papa, une semaine chez maman… Comment apprivoiser l’alternance ? “Il est important que les parents comprennent que ‘l’enfant est face à des territoires différents, prévient le spécialiste. “Chez un être humain, un territoire différent suppose des règles différentes. Ce sont les règles de papa d’un côté et les règles de maman de l’autre. Quand les parents vivaient ensemble, c’étaient les règles de “papa et maman” qui avaient été négociées entre eux.”

Pour l’expliquer et le faire accepter à l’enfant en résidence alternée, le mot magique est “ici”, nous conseille Bruno Humbeeck. ““ici, voilà la règle”, “ici, on fait comme ça”… Chez papa ou chez maman, on fait autrement. Attention le “ici” ne veut pas dire qu’ailleurs on fait mal ou moins bien ! Qui fixe les règles ? Le parent qui occupe le territoire. Les règles peuvent donc changer si l’un des parents continue à vivre dans la maison de l’ancien couple après le départ de l’autre.”

Ensuite, il faut comprendre qu’au-delà des territoires, c’est la temporalité qui va changer. “Notre temps à tous, adultes comme enfants est en fait composé de 3 temps:

  • le temps personnel qui est un temps qui n’appartient qu’à nous et pendant lequel nous faisons absolument ce que nous voulons sans le négocier. 
  • le temps familial qui est un temps négocié (du temps passé ensemble donc)
  • Et le temps professionnel (pour l’adulte) ou scolaire (pour l’enfant), qui est un temps obligatoire et contraint.”

Pour que l’alternance se passe le mieux possible, il faut que l’enfant, dans ses 2 deux espaces de vie, retrouve ces trois temps. “Et si possible de manière équivalente chez les deux parents, poursuit le spécialiste. Par exemple, le temps scolaire est obligatoire mais il “déborde”sur le temps familial avec les devoirs ? Pour éviter les tensions et les différences entre l’un et l’autre, l’idéal est d’en décider ensemble et de dire à l’enfant : “tu vas faire tes devoirs pendant 45 minutes. Ni plus ni moins, chez papa comme chez maman.”

Idem pour le temps libre de l’enfant, qui est un temps où l’enfant doit pouvoir faire ce qu’il veut. S’il veut jouer à un jeu vidéo, qu’il puisse jouer aux jeux vidéos. Si contrainte il doit y avoir, ce sera sur le temps familial. Le temps libre est à lui, il n’a pas à rendre de comptes.

Le temps familial, enfin, est un temps que chaque parent va négocier, chacun à sa façon, dans l’univers qu’il est en train de mettre en place pour l’enfant et lui.”

Si ces temps sont négociés entre les parents au moment de la séparation, l’alternance sera plus facile à vivre. “Une enquête récente de l’UCL le montre : l’enfant a des manières de s’approprier ses territoires qui lui permettent de passer d’un espace à l’autre. C’est beaucoup moins perturbant que ce que les adultes imaginent.”

A lire !

Comment agir pour que l’enfant souffre le moins possible du cataclysme qu’est pour lui la séparation de ses parents ? Que dire pour le préserver des préoccupations et des émotions débordantes des adultes ? Comment mettre en place une « bonne » résidence alternée ? Dans ce livre, Bruno Humbeeck, psychopédagogue et chercheur en sociopédagogie familiale et scolaire, donne des clés de compréhension et des outils pratiques pour aider les parents… à aider leur enfant dans cette phase difficile pour tous.

Comment préserver ses enfants lors d’une séparation, de Bruno Humbeeck, Mango Editions, 14,90 euros. A acheter ici

Faire preuve de souplesse

“50-50 au jour près, certains en viennent à tenir une vraie comptabilité !”, s’amuse Bruno Humbeeck. “En réalité, il vaut mieux éviter de se partager l’enfant comme on se partage un gâteau ou un morceau de saucisson. Ce qui compte pour lui, c’est la qualité du temps. D’ailleurs la résidence alternée est un cadre qui permet d’assurer l’équité : elle fixe le droit de l’enfant à avoir une relation affective stable avec chacun de ses 2 parents. Mais elle ne garantit pas l’égalité, ni ne signifie qu’il va passer exactement le même temps avec papa et maman. Les parents doivent savoir faire preuve de souplesse dans l’organisation du quotidien”… en gardant en tête autant que possible l’intérêt de l’enfant.

La force des rituels

Un petit rituel pour se dire au revoir, un petit rituel au moment des retrouvailles. Certains parents les ont mis en place instinctivement, parfois les enfants les réclament d’eux-mêmes. “En tout cas, ne les bradez pas !”, recommande Bruno Humbeeck. “Ritualiser les séparations est une bonne stratégie pour faire passer les changements moins brutalement.” 

Autre conseil du spécialiste : ne pas vivre les manques liés à l’alternance comme quelque chose d’entièrement négatif qui ne produirait que de la souffrance, des sentiments de rupture et d’insuffisance. ”Il faut éviter de penser que le manque est forcément une faillite. On se construit dans le manque de l’autre. L’alternance peut être sur ce point riche d’apprentissages et quelque chose de très positif !”

Quels sont les signes que l’enfant ne vit vraiment pas bien la résidence alternée ?
L’absence de sérénité est toujours un signal qui doit être écouté, nous dit Bruno Humbeeck ! Votre enfant présente tout à coup des troubles du sommeil, de l’alimentation ? Son comportement à l’école et à la maison change ? Il vous paraît inquiet, plus agité qu’avant ? Mieux vaut en parler à un professionnel de santé pour savoir comment l’apaiser.

L’aider à gérer le manque

Retrouvailles, séparations, moments de manque… Comment les aider à faire face à ces montagnes russes émotionnelles, combler les moments de vide et préserver sa sérénité ?

Premier réflexe : ne pas nier le manque, ne pas le masquer à tout prix ou le balayer d’un revers de la main. “L’idée n’est pas de dire” non, je ne vais pas te manquer…” mais “oui, on va sentir un peu de manque mais on va pouvoir gérer ça”, résume Bruno Humbeeck.

Comment ? “Ce qui permet de surseoir au manque, c’est un objet transitionnel, comme un doudou quand l’enfant est petit. Ce doudou, surtout chez le tout-petit enfant, va marquer la continuité. Il n’a de sens, au début, que parce qu’il évoque l’odeur de la maman. Puis, petit à petit, il va prendre un nom…. Et avec ce nom, il commence à passer à l’état d’objet culturel : maintenant qu’il a un nom, on va pouvoir en parler ensemble ! Ainsi, l’objet transitionnel, à mesure que l’enfant grandit, va devenir progressivement un objet culturel. “Tiens, tu vas aller voir ce film avec ta mère ? Tu me le raconteras quand tu reviendras !“. Ou mieux encore ”Je vais aller le regarder aussi, comme ça on pourra en parler tous les 2 à ton retour.”

L’objet culturel va permettre le partage d’une expérience commune, même si l’on n’est pas ensemble ! “On peut regarder un film avec son fils, même s’il est chez son autre parent ! Seulement on le regarde en pensant à l’autre et on en parlera ensemble ensuite. Et ça, ça permet d’exister dans la tête de l’autre quand il n’est pas là.”

Sécuriser l’attachement

L’alternance signifie pour l’enfant qu’il doit apprendre à gérer l’absence, avec tout ce que cela suppose : gérer le manque d’un de ses parents, mais aussi concevoir sa propre absence. “L’enfant doit savoir qu’il existe même quand il n’est plus sur le territoire de son parent. C’est vraiment important, surtout quand les enfants sont tout petits. Ils doivent comprendre que l’alternance effective n’est pas une alternance affective : l’amour est une continuité. Il faut veiller dans ces périodes-là à ce que l’attachement reste secure. C’est-à-dire que l’enfant ne se dise pas que le fait de se voir moins souvent, en alterné, va faire que l’on va moins s’aimer. La solution ? Lui dire à l’avance comment il va exister pour nous quand il ne sera pas là…”

Vous l’avez peut-être déjà expérimenté : les enfants demandent souvent : “que faites-vous de ma chambre quand je ne suis pas là ? Que faites-vous de votre temps ?” De la part de l’adulte, qui a l’obligation de s’occuper de lui-même,  la meilleure réponse est de démontrer qu’il est heureux pendant les périodes où son enfant n’est pas là. “Si vous voulez donner envie de donner à vos enfants de grandir, il faut leur montrer que vous êtes heureux… en dépit de la séparation.” explique Bruno Humbeeck. En dépit donc de la situation qui peut être douloureuse et de ce syndrome de la chambre vide, que connaissent bien des parents, mais qui peut facilement atteindre l’enfant, comme par ricochet.

Le préserver de nos propres émotions

“Le parent peut manifester des formes de souffrance qui ne sont pas éprouvées par l’enfant. Mais l’enfant en vient parfois à mimer la souffrance attendue par son parent. L’exemple type : “Ca a été chez papa ?” “Non, pas du tout, ça a été horrible”… Alors qu’en fait il s’est bien amusé ou qu’il aurait pu bien s’amuser, mais qu’il a perçu simplement que s’amuser serait une trahison par rapport au parent qu’il a laissé tout seul.” 

C’est un phénomène naturel ; si vous êtes triste, vous supposez que l’autre l’est aussi. On a tous tendance à projeter notre état affectif sur les autres. 

“Le problème, c’est que la souffrance liée à la séparation n’est jamais un indice fiable de la qualité de votre affection”, met en garde le chercheur. “C’est juste l’indice de votre sentiment d’insécurité ressentie.”

En résumé : souffrir du manque de l’autre ne manifeste pas l’intensité de notre amour pour l’autre mais l’insécurité qu’on ressent quant au fait que l’autre reviendra.

“L’enfant peut développer la croyance que dès qu’il ne manifeste pas suffisamment le manque de son parent, il trahit l’intensité de l’affection éprouvée attendue de la part de ce parent ! ”, alerte ainsi Bruno Humbeeck “Il faut veiller à ce que l’enfant soit autorisé à être heureux et épanoui dans ses deux espaces de vie, même dans le manque.” 

Pour ça, il faut que les parents eux-mêmes soient apaisés. “Il faut qu’ils reviennent à ce que j’appelle “l’état initial” : ils ont fait cet enfant à deux, en se disant alors qu’ils allaient l’élever ensemble jusqu’au bout.  Il faut essayer de revenir à ce point de départ, à cet état d’esprit. Car on peut le faire, même après une séparation ! Bien sûr, au moment des disputes et de la séparation elle-même, c’est plus compliqué, mais plus tard, une fois que le temps est passé, cela redevient possible et souhaitable.” Se mettre d’accord en veillant à l’intérêt de nos enfants, communiquer et s’organiser de manière équilibrée est le meilleur moyen de gagner en sérénité dans les deux foyers… Et pour tout le monde !

Journaliste depuis plus de 20 ans, ancienne rédactrice en chef de Psychologies.com, je m'intéresse depuis toujours aux questions familiales et la psycho au sens large. Je suis moi-même mère et belle-mère et partage ici les meilleurs conseils d'experts pour vivre le plus sereinement possible le quotidien de parent séparé, que vous viviez en famille monoparentale ou recomposée.