« Je suis fatiguée de la famille recomposée… » Faire face quand on n’en peut juste plus
Avis de grosse fatigue ! Il y a des jours comme ça, où la lassitude prend le dessus. Ce n’est pas qu’on ne s’aime plus, ou qu’on ne croie plus à notre famille recomposée. C’est juste qu’elle nous épuise… et qu’on n’y arrive plus. Qu’est-ce qui se cache derrière cet épuisement ? Plongée dans les racines de ce mal-être diffus mais fréquent, pour savoir où aller chercher un second souffle.
La fatigue organisationnelle
Qui dit famille recomposée, dit souvent enfants qui naviguent d’une maison à l’autre, plus ou moins régulièrement. Avec pour corollaire des sacs à préparer, des affaires à rassembler, des retours à anticiper, des trajets à prévoir… Une vie de famille à géométrie variable, aussi, dont découle une organisation souvent complexe.
C’est souvent le besoin d’anticipation constante que cela implique, qui est la source d’une fatigue XXL, surtout quand on se retrouve à gérer d’un coup des enfants sans y être habitué. C’est aussi le cas des maisons où cohabitent les enfants de l’un et de l’autre et où l’organisation dépend de calendriers distincts et de contraintes variables. Tout est finalement deux fois plus compliqué que dans une famille “classique”.
“Je suis passée d’une vie de maman solo avec 2 jeunes enfants, où tout était planifié une fois pour toutes en début d’année avec la nounou, à un quotidien où tout doit être réorganisé semaine après semaine pour s’en sortir, raconte Yamina, 30 ans. Composer avec nos calendriers de garde (on n’a pas le même rythme avec mon ami), les changements de dernière minute liés aux activités ou aux cours de ses grands, ou encore son ex qui modifie souvent les plans (pas vraiment sa faute, c’est lié à son métier). Mais résultat : j’ai parfois l’impression que notre vie se résume à optimiser le calendrier et notre to-do list. Préparer les repas ou les sandwichs à emporter, organiser les trajets les jeudis pour réussir à aller chercher l’un au judo et l’autre à la garderie quasiment en même temps, savoir quand on récupérera les affaires du grand… Je ne parle même pas de l’organisation d’événements comme les anniversaires ou les fêtes de fin d’année, pour lesquels on doit s’y prendre des mois à l’avance.”
Axel, père de 42 ans, raconte ainsi avec humour la surprise de dernière minute lors de ses dernières grandes vacances : “L’été dernier, grande victoire, nous avions réussi à caler toute l’organisation trois mois avant de partir. Un record, car tout organiser, c’est l’enfer chaque année. Malheureusement, l’ex-femme du nouveau conjoint de mon ex – oui je répète, l’ex-femme du nouveau conjoint de mon ex – a décidé de se marier. Et alors, me direz-vous ? Alors les enfants du nouveau conjoint de mon ex ont voulu bien naturellement assister au mariage de leur mère. Sauf que ça tombait pendant qu’ils devaient être en vacances avec leur père et mon ex femme. Résultat ? On nous a demandé d’intervertir les périodes de vacances mi-mai. On a mis 2 semaines à tout recaler en bougeant les réservations le soir en rentrant du boulot. Pour quoi, pour qui ? Pour le mariage de quelqu’un que je connais pas et que mes enfants ne connaissent même pas !” Un gigantesque jeu de dominos dont les parties peuvent se rejouer à chaque vacances. Epuisant.
La fatigue de ces décisions qui ne nous appartiennent pas
Comme pour Axel, la vie en famille recomposée, c’est souvent dépendre des envies, des besoins, des contraintes et impératifs de personnes qui sont extérieures à notre famille. A commencer par l’ex de notre partenaire dont le quotidien a (trop) souvent des répercussions sur la nôtre (et dont on se passerait bien, la plupart du temps).
Elsa, jeune femme célibataire, avait ainsi sous-estimé ce que son rôle de belle-mère allait changer… et ce qu’elle serait amenée à faire, sans l’avoir décidé.
“Si vous voulez, je vous fais une liste !, plaisante-t-elle. Depuis que je partage la vie d’un homme qui a des enfants, je ne choisis plus : les dates de mes vacances, ni même mes destinations de vacances (avec des jeunes enfants, les projets sont plus limités et doivent être validés par la maman), ce que je mange (faut plaire à tout le monde et surtout leur mère refuse qu’ils mangent ne serait-ce que de temps en temps de la nourriture transformée), ce que je fais de mon temps libre (j’ai toujours préféré faire du sport et des expo que cuisiner ou faire le ménage, mais depuis, je passe plus de temps à cuisiner aux petits des légumes – que je n’aime pas, d’ailleurs – qu’à la salle d’escalade). Je ne décide plus vraiment où j’ai envie d’aller ou surtout de ne PAS aller. C’est le truc qui m’a fait vraiment vriller au début : devoir aller chercher sa grande au catéchisme une semaine sur deux, moi qui ai vraiment du mal avec les trucs religieux. Pas le choix, son père bosse, mais l’attente sur place et les discussions sur le petit Jésus sur le chemin du retour… comment dire ?”
Cette immense fatigue de l’adversité
Dans certaines familles, les séparations mal cicatrisées, les rivalités larvées ou les conflits ouverts rendent le quotidien difficile voire invivable. Que ce soit entre beaux-parents et beaux-enfants, entre les enfants ou plus régulièrement avec les ex-conjoints, vous êtes nombreux à raconter les reproches incessants, les attaques de tous côtés, les menaces aussi, parfois… Cette fatigue de devoir construire une nouvelle vie de famille sous le feu des critiques a eu raison de nombreuses recompositions, nous y reviendrons très vite.
Si c’est votre cas et que vous souhaitez témoigner anonymement, n’hésitez pas à nous contacter à contact (at) lesnichees.com
La famille recomposée et la fatigue d’un quotidien fait de compromis
Recomposer, c’est recréer une vie de famille certes, mais c’est surtout le faire sur des fondations préexistantes… dont on ne peut pas vraiment faire abstraction. Bonnes manières, règles de vie, valeurs transmises… l’éducation donnée par la personne que l’on aime, notamment, peut être vraiment très éloignée de ce que l’on a connu, de ce que à quoi on aspire, de ce que l’on veut pour nous et nos enfants (qu’ils vivent déjà avec nous ou qu’ils soient à venir).
La vie en famille recomposée vient ainsi titiller non seulement nos modèles éducatifs, mais plus globalement ce qui est important pour nous et ce que l’on est capable de tolérer. Et surtout, elle nous oblige à nous adapter en permanence à d’autres et à leur façon de vivre, de faire, de penser. A trouver toujours des solutions qui conviennent à tous, qui ne froissent personne. Nous sommes souvent contraints à des exercices de contorsionniste pour parvenir à des juste-milieux qui sont souvent épuisants à trouver, difficiles à faire accepter… Et qui, cerise sur le gâteau, ne satisfont bien souvent personne. Epuisant et vain, donc. Un cocktail explosif pour notre bien-être et notre moral.
La fatigue de faire passer les autres avant soi
Ce quotidien de compromis peut vraiment devenir mortifère quand l’adaptation qu’il demande sans cesse vire à la suradaptation. Or nous avons tous, à un moment donné, une bonne raison de nous suradapter dans notre famille recomposée : parce qu’on a plus que tout envie de “réussir” cette famille, parce qu’on se dit qu’on est l’adulte et que c’est à nous de faire les efforts, parce qu’on a peur de décevoir, mais aussi et surtout parce qu’on veut éviter un nouveau conflit… Quand on est fatigué de toujours devoir tout négocier, il devient plus simple de déclarer forfait, même si cela revient à s’oublier. Un cercle vicieux : plus on est fatigué, plus on lâche. Plus on lâche, plus on doit se suradapter, plus on se fatigue.
“Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, explique Chrystèle, 42 ans. Tout se passait super bien, mon fils et moi avons emménagé chez mon ami qui vivait avec ses 3 enfants. Nous avons été bien accueillis, j’étais très fière de dire que tout se passait bien, que tout le monde s’entendait bien ! Mais au bout d’un moment, j’ai commencé à me sentir… vide. C’est une amie qui m’a fait réagir le jour où elle m’a dit qu’elle me trouvait “éteinte”. C’est le mot qui a fait tilt : je me suis éteinte à force de me fondre dans les envies, les habitudes et le quotidien de cette nouvelle famille. J’avais tour à tour renoncer à mes meubles, à mes activités favorites, à mes plats préférés, à mes vacances préférées, à pas mal d’amis qui vivaient loin désormais depuis mon déménagement… En fait, je m’étais mise à vivre la vie de mon homme, comme si mon fils et moi nous nous étions dissous dans leur vie de famille à eux. Mais cette vie ne nous ressemblait pas ! Je n’y retrouvais plus vraiment ce que j’aimais, ce qui me faisait vibrer, ni – et c’est plus grave encore – ce que j’avais envie de vivre et de transmettre à mon fils. Nous sommes passés à ce moment-là très près de la rupture avec mon conjoint car partir me semblait la seule solution pour me retrouver. Mais on a réussi à traverser ça, en parlant beaucoup. Je me suis davantage imposée, et je me suis même “imposée de m’imposer”, car ce n’est pas dans mon tempérament. Mais je pense qu’aujourd’hui on a redressé la barre. Malgré tout, j’ai conscience des efforts et de l’énergie que cela me demande. Il y a des jours où je me sens à plat et où je me dis que je m’épargnerais tout ça en vivant seule avec mon fils.”
La fatigue de marcher sur des oeufs en permanence
Négocier, concilier, trouver systématiquement un juste milieu, ménager les susceptibilités de tout le monde… Etre parent ou beau-parent en famille recomposée, c’est être tantôt contorsionniste, tantôt équilibriste, et souvent les deux à la fois.
“J’avoue, je ne comprends pas du tout comment mes beaux-enfants sont élevés chez leur mère, confie Myrtille, 38 ans. L’absence de limites (sur les écrans notamment), l’absence de respect (envers les personnes plus âgées, les profs, etc…)… Au début, j’ai bien tenté de leur apporter une autre vision, un cadre… Mais on m’a vite collé une étiquette de rabat-joie. Pour les enfants, j’étais une empêcheuse de tourner en rond, pour leur mère, j’étais psycho-rigide. Ca m’a calmée. Je m’étais toujours abstenue de faire des remarques devant eux sur leur vie “de l’autre côté”, mais je m’autorisais à les reprendre à la maison quand ça n’allait pas. Depuis, je ne le fais quasiment plus. J’ai l’impression de marcher sur des oeufs en permanence. Je passe mon temps à me demander si je suis bien en droit de demander ça, si c’est bien à moi de leur faire remarquer ça… Je me suis rendu compte aussi qu’il y avait beaucoup d’interprétations (et surtout de mauvaises interprétations) de choses que je pouvais dire. Les enfants se sentaient souvent attaqués. Du coup, maintenant, je me pose mille questions avant de leur faire la moindre remarque. Pour ne pas risquer de les blesser, pour ne pas que ça donne lieu à une nouvelle polémique avec la maman. Résultat : zéro authenticité. Je ne me sens même pas en droit d’être moi, chez moi. C’est hyper fatigant de ne jamais pouvoir se relâcher, de toujours faire attention à ce qu’on fait et ce qu’on dit.” Une tension permanente qui peut lui aussi mener tout droit à l’épuisement.