Parent séparé : comment réagir si l'autre parent devient toxique
Parent séparé

Parents séparés : comment réagir si l’autre parent devient toxique

C’est l’angoisse de tout parent séparé : qu’une relation toxique s’installe entre notre ou nos enfants et leur autre parent. Que les enfants soient utilisés contre nous, qu’ils s’éloignent de nous et surtout qu’ils souffrent. Comment reconnaître les signes d’une relation parentale qui n’est pas saine ? Comment en désamorcer les pièges ? Comment en parler avec les enfants ? Vanessa Sève, ancienne avocate et coach spécialisée en accompagnement des séparations, vous donne des clés pour bien réagir.

Quand on est parent séparé, comment reconnaître les signes d’une relation qui n’est pas saine entre l’enfant et son autre parent ?

Vanessa Sève : Avant tout, il y a un côté assez instinctif : en tant que parent, on peut sentir que quelque chose ne va pas dans la relation entre son enfant et son autre parent. Soyez attentif au comportement de votre enfant. Le premier signe, bien souvent, c’est quand vous ressentez que les enfants commencent à vous rejeter alors que rien n’a changé de votre côté. Quelques exemples : quand ils sont là, ils ne parlent que de l’autre parent voire le réclament beaucoup, disent ne pas être bien chez vous, quels que soient le contexte et les efforts que vous faites pour l’accueillir et pour que ça se passe bien. L’étape suivante, c’est bien souvent quand ils déclarent ne plus vouloir venir chez vous. 

Deuxième indice : vous ressentez que votre enfant n’est pas libre. Par exemple, il vous dit “Je n’ai pas le droit de faire ça chez toi”, “je n’ai pas le droit de parler à ton amoureuse”, “je ne dois pas parler de toi chez papa…”

Et puis, il y a la sensation d’un malaise global : quand l’enfant commence à avoir une posture de repli sur lui-même quand il vient chez vous, quand il dit qu’il ne veut plus faire certaines choses avec vous, qu’il ne veut plus participer à la vie de la maison (sortie, jeu de société, etc…)… Quand cela se traduit ou s’accompagne d’un mal-être chez lui, c’est le signe que quelque chose ne tourne pas rond dans sa relation avec son autre parent..

A qui en parler si on soupçonne une relation toxique ? Doit-on aborder le problème frontalement avec l’enfant notamment ?

Vanessa Sève : Tout est une question d’âge. C’est très compliqué quand les enfants sont en bas âge, car il n’y a pas vraiment la parole. A partir de 6-7 ans, on peut mettre en place une première phase d’enquête, d’observation : je constate que quelque chose chez mon enfant me met mal à l’aise, je ne le sens pas bien… Attention toutefois dans cette phase, à ne pas se laisser déborder par son ressenti, et à ne pas céder à une surinterprétation car nous pouvons tous avoir tendance à craindre le pire et à diaboliser l’autre.

Pour cette phase d’observation, on peut parler à l’enfant. Pas question, bien sûr, de dire « papa ou maman est méchant avec toi » ! Il s’agit plutôt d’essayer au maximum de conserver la liberté de parole de l’enfant pour qu’il se sente autorisé à tout dire et à se positionner.

Je conseille aussi d’aller voir des personnes extérieures : en parler à l’école, aux maîtres, pour tenter de savoir ce qui se passe en classe. Car c’est une chose à garder en tête : tout, dans la vie de votre enfant, n’est pas nécessairement lié à la séparation. Il peut également vivre des choses différentes et difficiles à l’école qui peuvent jouer sur son comportement à la maison..

Parlez-en aussi aux amis, à la famille… Certains pourront vous dire : « j’ai vu ça » , « elle m’a dit ça ». Il n’est pas rare que les enfants s’autorisent plus de liberté de parole avec leur grand-mère ou leur tante.

Enfin, il y a l’autre parent. Bien sûr, sur le papier, ce devrait être le premier réflexe : appeler l’autre parent pour lui parler du comportement de l’enfant et en discuter. Sauf que quand on arrive à penser que notre ex entretient des liens toxiques avec notre enfant, c’est que la communication n‘est déjà pas très bonne entre nous. Or si on en est arrivé à ce stade-là de non-communication, aborder le sujet de front peut être contre productif : cela peut aisément créer encore plus de tensions. Si la mésentente est très forte, les rapports très conflictuels, j’estime qu’il vaut mieux se concentrer sur ce qui se passe chez soi. Et sur son enfant.

Comment préserver son enfant dans ce cas ?

Vanessa Sève : Je conseille d’aller assez vite consulter un professionnel extérieur pour vérifier nos ressentis et que lui, l’enfant, puisse avoir auprès de ce professionnel une liberté d’expression qu’il ne s’autorisera pas forcément avec nous.

Si vous avez peur que votre ex s’y oppose, sachez qu’on peut faire un premier rendez-vous sans autorisation parentale. Ensuite, si les rendez-vous concernent l’avenir de l’enfant, alors oui, il faudra un accord écrit. Mais ce premier rendez-vous peut être fait sans, vous n’êtes pas bloqué.

Et c’est très important d’être rapidement dans l’action et de mettre l’enfant dans une espèce de “cocon” où il pourra se sentir libre de dire ce qu’il a à dire. De notre côté, cela nous permet de prendre notre rôle de “parent protecteur”, c’est-à-dire d’endosser les habits du parent qui écoute et agit, celui qui met des choses en place pour son enfant… Celui, surtout, qui ne fait pas que subir l’autre parent. Sans compter que si vous êtes face à un.e ex vraiment toxique, c’est essentiel de ne pas rester seul.e.

Quelles sont les situations toxiques que vous rencontrez le plus fréquemment dans votre pratique ?

Vanessa Sève : Ce qui me fait le plus de peine, c’est d’observer dans l’après-séparation une forme de continuité du couple précédent et de ses dysfonctionnements. Car souvent, le parent séparé que l’on devient est conditionné par la place que l’on occupait dans son couple.

C’est notamment le cas de certains papas qui n’ont pas pris leur place avant la séparation et qui restent en retrait après. Ils sont parfois tellement en conflit permanent avec la maman qu’ils vont, pour protéger leur nouvelle vie de famille, se mettre complètement en retrait… Quitte à perdre le lien avec leur enfant. Il n’est par rare d’entendre certains pères dire : « je vais lui laisser la garde totale, car c’est insupportable ».

Il y a parfois aussi l’impression que l’enfant est la continuité de l’autre parent, qu’il va leur renvoyer une image insupportable d’eux-même… Alors là encore, ils vont laisser tomber. Cela résonne souvent avec des fausses croyances que l’on entend autour de la séparation, du type “Il n’y a que les mamans qui gagnent pour la garde »… Ce qui n’est plus vrai en 2024.

Ces problèmes de relations parent-enfant toxiques sont-elles plus fréquentes d’après vous chez les mères ?

Vanessa Sève : Pas forcément et il n’y a pas de chiffres… Mais ce que je peux voir parfois dans ma pratique, ce sont des mamans qui essaient de se guérir de leur séparation à travers leurs enfants. Elles les “utilisent” pour aller mieux et deviennent sans le vouloir des parents étouffants. Pour ne pas se sentir délaissées. Pour ne pas se sentir seules. 

On retrouve souvent un non-dit en toile de fond : “je veux que mon enfant me choisisse”. A un moment donné, inconsciemment, les parents désirent très fort que l’enfant les choisissent face à l’autre parent, car ils y voient une forme d’amour.

C’est la recherche de cette preuve d’amour qui, d’après vous, pousse les parents à manipuler leurs enfants ?

Vanessa Sève : Je n’aime pas beaucoup le terme de “manipulation”, car un enfant n’est pas un pantin, une marionnette. Les réactions relèvent souvent d’autre chose : par exemple, un enfant va souvent choisir la maison dans laquelle il vit le plus souvent. C’est une manière pour lui de se sauver lui-même car il peut rechercher un quotidien apaisé. 

Autre facteur très fréquent : les enfants ont parfois une empathie de dingue et prennent une responsabilité qui ne leur est pas clairement demandée, en se disant : ‘je veux aider mon parent à aller mieux ». Ils vont alors choisir le parent qui reste seul, celui qui semble triste, celui qui semble avoir le plus besoin d’eux. Responsabilité qui peut toutefois être cultivée par le parent en question, qui va lui donner inconsciemment une place d’adulte. 

Le problème, c’est que les enfants s’attachent à ce rôle qui les valorise d’un côté, mais qui leur donne, de l’autre, une charge beaucoup trop lourde pour leur âge. Leur cerveau n’a tout simplement pas la capacité de supporter tout ça. 

C’est pour cela que ces situations peuvent vite devenir destructrices et se révèlent extrêmement difficiles à démêler. Car cela va bien au-delà d’une volonté de “manipuler” d’un parent.

Peut-on aider notre ou nos enfants à prendre conscience du côté dysfonctionnel de la relation qu’ils entretiennent avec leur autre parent ?

Vanessa Sève : Je pense que le plus important, c’est de montrer à l’enfant que vous êtes là, qu’il peut compter sur vous et de mettre des mots sur ce qu’il vit. Attention, je ne dis pas de leur asséner des :  “Ce n’est pas un bon papa” ! Mais plutôt d’ouvrir un espace de discussion sur le mode: « Quand papa fait ça avec toi, il n’a pas la bonne attitude ».

Je conseille en général aux parents de donner à leurs enfants les outils pour qu’ils comprennent d’eux-mêmes, qu’ils mettent des mots sur ce qu’ils vivent. Ce sera alors plus simple pour eux de cheminer à leur rythme et quand ils seront prêts, de se détacher de la situation…

Ancienne avocate, Vanessa Sève se consacre à une mission qui lui tient profondément à cœur : aider les parents séparés et les familles recomposées à surmonter les défis du quotidien. Ayant vécu elle-même une séparation il y a 10 ans, elle ne sait que trop les défis que l’on rencontre après. En tant que coach et formatrice, elle travaille à la croisée du droit, du développement personnel et de la gestion des conflits pour offrir un accompagnement complet. Son objectif : permettre à chacun de trouver des solutions concrètes pour mieux communiquer, préserver l’équilibre familial et favoriser l’épanouissement personnel, même dans des situations complexes.
Avec une approche humaine et bienveillante, elle accompagne ses clients pour transformer une période difficile en une opportunité de reconstruction et de sérénité, tant pour eux que pour leurs enfants. Si vous avez besoin d’un appui, d’un soutien émotionnel ou de conseils pour avancer, elle est là pour vous accompagner. Devenir parents ça s apprend, parents séparés et beaux parents aussi! 
Retrouvez ses conseils sur sa page Instagram et tous les 15 jours, dans “Pour le Meilleur”, le podcast  qu’elle anime autour de la séparation.

Mais en tant que parent on peut se sentir impuissant face à ce qu’il se passe chez l’autre parent…
Vanessa Sève : Bien sûr, on peut avoir l’impression qu’il n’y a rien à faire de notre côté pour faire bouger les lignes. Mais il y a toujours des choses à mettre en place. Même poser des mots, expliquer, montrer qu’on est intéressé par ce qu’il se passe dans l’autre maison, c’est important. Surtout, mettre des actions en place (comme voir un psy, ou simplement appeler l’autre parent), ça montre à l’enfant que vous êtes là en tant que parent protecteur, et que vous prenez vos responsabilités. 

Bien sûr, pour vous, en tant que parent, c’est très dur. Il est normal de se sentir fragilisé et dépassé par cette impression qu’on ne peut rien faire sur ce qu’il se passe de l’autre côté. Mais dites-vous bien qu’en restant un parent en retrait, un parent qui laisse tout passer, l’autre parent n’aura jamais aucune raison de changer d’attitude !

N’oubliez pas non plus qu’en restant en retrait, le signal que vous envoyez à votre enfant n’est pas le bon. Il pourrait se dire qu’il ne peut pas compter sur vous. Le risque ? Qu’il se concentre sur le seul parent qui lui donne l’impression d’être là pour lui…

Ce n’est pas toujours facile de se positionner et de faire acte de présence auprès de l’enfant, quand on est loin ou en guerre ouverte avec son ex…

Vanessa Sève ; On peut être un parent à distance mais un parent présent ! Même si on ne voit son enfant qu’un week-end sur deux, on peut lui faire sentir qu’on est bien là dans son quotidien. De la même manière qu’on peut être un parent « tout le temps là » mais absent, sur lequel l’enfant ne peut jamais se reposer. Il ne faut pas s’arrêter à ça. 

Bien sûr, quand la communication est hyper difficile, quand tout échange se transforme en reproches, c’est très compliqué de conserver un dialogue neutre et surtout constructif pour l’enfant. Il est important dans ces moments-là de se faire accompagner pour que la communication soit préservée. Ce que vous pouvez faire ? Eviter autant que possible ces discussions stériles où l’on essaie coûte que coûte d’avoir raison, où l’on ne fait plus l’effort de chercher à comprendre l’autre et surtout où l’on perd de vue l’intérêt de l’enfant. Rouspéter contre l’autre parent, diaboliser l’autre peut vous soulager mais ne suffit pas à protéger votre enfant. Agir pour préserver son intérêt est primordial. C’est malheureusement le fardeau des parents séparés : on reste liés par nos enfants. Et qu’on ait la garde ou pas, qu’on vive loin ou à côté, on a toujours des comptes à se rendre.

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Journaliste depuis plus de 20 ans, ancienne rédactrice en chef de Psychologies.com, je m'intéresse depuis toujours aux questions familiales et la psycho au sens large. Je suis moi-même mère et belle-mère et partage ici les meilleurs conseils d'experts pour vivre le plus sereinement possible le quotidien de parent séparé, que vous viviez en famille monoparentale ou recomposée.