“J’ai grandi en famille recomposée et ça joue sur la belle-mère que je suis aujourd’hui”
Emmanuelle Drouet est psychologue clinicienne et auteure. A la ville, elle a expérimenté plusieurs recompositions familiales, quand elle était enfant et aujourd’hui en tant que mère et belle-mère. Une triple casquette qui lui confère un regard singulier sur les tribus recomposées qu’elle décortique dans son cabinet et aujourd’hui sur Les Nichées. Interview sans fard.
Les Nichées : Le fait d’avoir grandi en famille recomposée joue-t-il beaucoup sur la façon dont vous avez construit et dont vous vivez aujourd’hui la vôtre ?
Emmanuelle Drouet : “Absolument, j’ai réalisé que cela a eu une incidence assez forte sur ma façon de voir mon rôle de belle-mère de plusieurs manières. J’ai vécu, petite, dans deux familles recomposées. La première, suite au décès de mon père, avec un homme qui vivait avec nous, qui n’avait pas d’enfant mais ne s’est jamais vraiment occupé de mes sœurs et moi. Mon deuxième beau-père, qui l’est toujours aujourd’hui, était aussi comme cela : ils étaient, avant tout, les conjoints de ma mère : ils n’ont jamais voulu avoir de véritable rôle auprès de nous. En tant que petite fille, mon modèle a donc été : “c’est la maman qui s’occupe des enfants.” J’ai été habituée à ce qu’aucun homme ne prenne soin de nous. Et aujourd’hui, je l’avoue, j’ai énormément de mal à laisser de la place à mon mari. Pour mon fils, je vais prendre tout l’espace ! J’ai pris l’habitude de tout gérer de A à Z, même si mon mari me dit souvent que c’est difficile pour lui, qu’il a l’impression de ne pas réussir à prendre sa place de beau-père.
Autre point : quand mon beau-père jouait un rôle d’autorité et me sanctionnait de manière dure et injuste, ma mère ne me défendait jamais. Cela a conditionné ma façon d’être mère et belle-mère. J’ai tendance à surprotéger mon fils : si mes beaux-enfants ou mon mari le critiquent, même de manière justifiée, je vais sortir les griffes et le protéger autant que je peux. Comme pour réparer mon enfant intérieur qui n’a pas eu la protection qu’il aurait mérité d’avoir alors.
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Emmanuelle DROUET (@peripepsy sur instagram) est psychologue clinicienne depuis 20 ans. Maman et belle-mère, elle vit à Vincennes en famille recomposée.
En parallèle, elle écrit des romans dont le dernier, L’écho des souffrances silencieuses vient de paraître aux éditions Jouvence.
Les Nichées : Avez-vous l’impression que l’expérience acquise enfant vous a aidée à trouver votre place de belle-mère aujourd’hui, en tant qu’adulte ?
Emmanuelle Drouet : Pas vraiment ! J’ai grandi dans une maison où l’on pouvait être jusqu’à 8 enfants car ma mère s’occupait d’enfants de la DDASS… J’ai eu beaucoup de mal à trouver ma place, petite, ce qui fait qu’aujourd’hui dans ma famille recomposée, j’ai une facilité déconcertante à vouloir à tout prix prendre ma place de belle-mère. Sauf que j’ai tendance à la prendre de manière trop forte. A vouloir la garder aussi, de manière peut-être trop véhémente !
Les Nichées : Avez-vous l’impression de mieux pouvoir vous mettre à la place de vos enfants et beaux-enfants ? De mieux comprendre ce qu’ils peuvent traverser avec la famille recomposée ? De vous adapter à leurs besoins ?
Emmanuelle Drouet : Oui et non ! Quand on est un enfant en famille recomposée, on apprend nécessairement et indéniablement à s’adapter, ce qui peut être source de stress quand on est petit mais devenir une super qualité quand on grandit ! Cette suradaptation permanente qui peut être très stressante, je l’ai vécue, même si – et ça fait une grosse différence – je n’ai pas connu la garde alternée ! Donc oui, quand des parents ont du mal à saisir pourquoi un enfant va se mettre dans tous ses états parce qu’il a oublié un cahier de maths chez l’autre parent, moi je comprends. Ça demande tellement aux enfants de s’adapter en permanence, de penser chaque semaine à ne rien oublier, de préparer leur petit baluchon… On ne se rend pas forcément compte si on ne l’a pas vécu à quel point cela peut être stressant de trimballer toute sa vie d’une maison à une autre et de changer de mode éducatif toutes les semaines !
Les Nichées : Le fait que vos beaux-pères n’aient pas beaucoup investi selon vous la relation avec vos sœurs et vous a-t-il modelé la belle-mère que vous êtes aujourd’hui ?
Emmanuelle Drouet : Ce manque d’intérêt de mes beaux-pères – et ça peut sembler excessif mais c’est comme ça que je l’ai vécu – m’a marqué comme une humiliation et un abandon. Surtout que mon père s’étant suicidé, j’avais l’impression que tous les hommes partaient sans rien dire.
D’emblée dans mon rôle de belle-mère, je me suis dit que jamais je ne ferai ressentir à un enfant ce que moi j’ai vécu, en termes d’indifférence… L’impression d’être personne, de ne pas être reconnue…
Beaucoup d’enfants l’expriment : quand les beaux-parents ne leur portent pas d’intérêt, ils se sentent souvent inintéressants. En termes d’estime de soi, cela peut être dévastateur. Il allait de soi pour moi, sans même y réfléchir, dès le jour où je suis devenue belle-mère que j’allais endosser un rôle important auprès de mes beaux-enfants. Je me suis beaucoup investie. Et oui, c’est épuisant : il faut donner beaucoup, sans avoir toujours de reconnaissance en retour. C’est ingrat, peut-être, mais je sais que je n’aurais pas pu être une belle-mère effacée de la vie de mes beaux-enfants. Bien sûr, je sais qu’ils pourront me le reprocher, un jour, je sais que je ne fais pas toujours bien, mais l’intention est là.