Famille recomposée : “Je suis épuisé.e d’être tiraillé.e entre mon couple et mon enfant”
Famille recomposée,  Trouver sa place

Famille recomposée : “Je suis épuisé.e d’être tiraillé.e entre mon couple et mon enfant”

Qu’elle est difficile cette place de “parent pivot” en famille recomposée ! En permanence écartelé.e entre son envie de réussir sa nouvelle histoire d’amour, quand la précédente a échoué, et le désir de préserver au maximum son ou ses enfants, il est pris entre des loyautés parfois difficilement conciliables… sans parler de l’ex qui complique parfois aussi les choses. Plongée dans le vécu douloureux des parents recomposants avec Ivy Daure, psychologue et auteure de “Belle-mère, beau-père, trouver sa place”

Les Nichées : De nombreux parents se sentent en permanence tiraillés entre leur partenaire et leurs enfants. Comment l’expliquer ?

Ivy Daure : C’est vrai, dans la famille recomposée, le parent se retrouve être l’ambassadeur du conjoint, tout en étant aussi l’ambassadeur de son enfant. Il est par définition au milieu d’une relation qui n’existe que parce qu’il existe, lui. Le parent, double-ambassadeur, doit donc souvent négocier, y compris son temps qui se retrouve divisé entre les moments où il est seul avec son enfant, puis avec son conjoint seul, puis les moments tous ensemble.

Il peut avoir la sensation d’être écartelé car il se retrouve en difficulté au milieu d’une multitude de loyautés et de messages envoyés aux uns et aux autres qui peuvent paraître contradictoires. Comment dire à son conjoint : “mon enfant est ma priorité, mais tu comptes” ? Comment faire ? C’est très compliqué ! 

Les Nichées : Qu’est-ce qui est le plus difficile à vivre pour le parent dans ces loyautés ?

Ivy Daure : Le problème, c’est qu’en parallèle, le parent peut être très pris par une double culpabilité. D’un côté, celle d’imposer un nouvel adulte, un nouveau couple ou une famille recomposée à son enfant, mais aussi la culpabilité de ne pas être totalement disponible pour vivre l’amour libre et décomplexé qui marque souvent les premiers temps d’une histoire, avec son conjoint. Il est face à deux réalités qui viennent en permanence se télescoper : l’envie d’aimer à nouveau et la culpabilité vis-à-vis de son ou ses enfants.

Les Nichées : C’est d’ailleurs souvent un reproche que font les beaux-parents aux parents : de ne pas réussir à se libérer d’une culpabilité qui va venir fragiliser l’autorité du parent et par rebond, les fondations de la famille recomposée…

Ivy Daure : En réalité, il y a deux types de culpabilité dans ces situations : la culpabilité qui se fonde sur l’empathie de ce que vit l’enfant. Ce n’est pas une mauvaise culpabilité car elle permet au parent de faire ce qu’il faut pour prendre soin de l’enfant, pour prendre en compte ses besoins et ses émotions, tout en étant respectueux des uns et des autres. C’est plutôt un moteur pour bien faire.

Mais il y a aussi une culpabilité plus ancienne, plus douloureuse, surtout si l’on est soi-même enfant de parents séparés. C’est celle qui repose sur la promesse que l’on s’est faite, bien souvent dans ce cas-là : “je n’exposerai jamais mon enfant à ça…”. Elle relève d’une représentation très négative de la séparation et de la famille recomposée. Et cette culpabilité-là est carabinée ! Plus insidieuse dans ses manifestations, plus ancrée, il est plus difficile de la mettre à distance.

Les Nichées : Quand les enfants et le nouveau conjoint sont fâchés, ce tiraillement devient insupportable. Que peut-on faire alors ?

Ivy Daure : Dans cette situation, le parent se retrouve contraint à un choix difficile : soit il s’éloigne de ses enfants pour faire alliance avec son conjoint. Soit il se retrouve à avoir une relation tendue avec son conjoint pour prendre la défense de son enfant.

Souvent, en fonction de l’âge des enfants, l’éloignement se fait via un nouveau choix de mode de garde. Le parent retrouve alors ses enfants seul, sur des temps plus courts. Mais je recommande tout de même de ne pas complètement occulter le nouveau conjoint dans ces moments-là. Raconter ce que vous avez fait ensemble, dire qu’il passe le bonjour… Faire le silence absolu sur l’autre quand vous voyez votre enfant pour ne pas le froisser, pour ne pas créer de problème, risque de vous mettre, vous, en difficulté en créant en quelque sorte des “bulles séparées” dans votre vie, entre lesquelles vous ne pourrez plus circuler. 

Les Nichées : Que peut-on faire pour éviter d’en arriver là ?

Ivy Daure : Avant tout, en parler ! Il faut dire le tiraillement ! L’enfant peut comprendre, avec des mots adaptés son âge : « tu es très important pour moi, mais je l’aime beaucoup ». Il faut vraiment dialoguer, avec honnêteté et clarté. Ce qui est important, c’est rassurer l’enfant sur le fait qu’il aura toujours une place. Et ensuite, réussir à poser des limites. Car l’enfant sait son pouvoir, il ne faut pas le laisser en abuser. Mais cela implique que le parent ne soit pas submergé par sa culpabilité. Et ce n’est pas facile.

Enfin, concernant le dialogue au sein du couple, je pense qu’il faut avoir conscience que c’est très délicat. Nous avons tous trois sujets que je qualifie d’“intouchables” : nos enfants, nos parents et notre patrie (notre pays de naissance ou celui où on a grandi). Moi, je peux dire tout ce que je veux sur ces trois sujets me concernant, mais si quelqu’un d’autre attaque ces points chez moi, cela va s’avérer très très délicat à entendre pour moi. Pourquoi ? Parce que c’est moi, en définitive, qui vais me sentir attaqué.e. Ainsi, quand un beau-parent critique les enfants de l’autre, c’est son ou sa conjoint.e qu’il attaque, souvent sans s’en rendre compte. C’est très, très sensible et on le sous-estime parfois dans le couple. 

En revanche, les beaux-parents, eux, ne font pas partie des intouchables. Eux peuvent être attaqués par l’enfant sans créer autant de réaction. Un “deux poids, deux mesures” qui peut être vécu douloureusement par le beau-parent, qui peut souvent se sentir attaqué sans conséquence alors que lui ne peut rien dire sur celui ou ceux qui l’agressent. Là encore, c’est au parent de veiller à poser des limites aux enfants, avant que la situation dégénère, même si cela lui est difficile.

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Journaliste depuis plus de 20 ans, ancienne rédactrice en chef de Psychologies.com, je m'intéresse depuis toujours aux questions familiales et la psycho au sens large. Je suis moi-même mère et belle-mère et partage ici les meilleurs conseils d'experts pour vivre le plus sereinement possible le quotidien de parent séparé, que vous viviez en famille monoparentale ou recomposée.